Civilisacons

« Or il y a des comportements, qui n’ont pas leur place dans notre pays, non pas parce qu’ils sont étrangers, mais parce que nous ne les jugeons pas conformes à notre vision du monde, à celle, en particulier, de la dignité de la femme et de l’homme. Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation. »

Petit Guéant parti en guerre contre les vilaines civilisations pour sauver les gentilles respectueuses de tout et de tout le monde. C’est beau, on dirait du Le Pen, le panache et l’humour crade en moins. Analysons un peu tout ça, voulez-vous, parce que c’est dimanche et qu’on n’a rien de mieux à faire que de descendre dans les tréfonds de la bêtise Guéant, parce qu’honnêtement, ça ne vole pas bien haut.

Dis Maman, au fait, c’est quoi le relativisme ?

ensemble de doctrines variées qui ont pour point commun de défendre la thèse selon laquelle le sens et la valeur des croyances et des comportements humains n’ont pas de références absolues qui seraient transcendantes.

Dixit Wikipedia. En clair ? Il n’y aurait pas de point de référence mondiale, international, « inter-civilisationnel », intemporel, pour dire quelle croyance, quelle culture, quel comportement est meilleur d’un point de vue moral, lesquels sont plus moraux que les autres, voire les plus moraux au monde. Plus simplement encore, ce serait l’évolution de la pensée humaine qui créerait et déplacerait la morale, si possible pour le meilleur.

De ce point de vue-là, Guéant est tout à fait en accord avec ses idées, puisqu’il nie intégralement le relativisme. Il y a, selon lui, des civilisations plus morales que d’autre, point barre.

Sauf que là où ça commence à déraper, c’est qu’il précise que ces nations immorales le sont par rapport à « notre vision du monde ». Ah. Aaaah ? Donc notre morale est la seule valable. La nôtre, française, ou la nôtre, Occident ? Passque bon, c’est pas la même, einh ! Je rappelle que nous autres, Français, considérons la peine de mort comme immorale, mais aux USA, elle est quand même vachement  cool. Par contre, niveau droits de la femme, on est quand même beaucoup moins moraux que la Scandinavie. Et quid des pays non-occidentaux qui partagent une morale similaire à la nôtre sur beaucoup de points ?

Et puis, elle a pris effet à quelle date, cette belle morale parangon du monde éclairé ? 1776, avec la Révolution américaine, qui institue l’idée de liberté et dit clairement que ni les noirs, ni les femmes, ni les pauvres ne sont des citoyens de premier plan ayant accès au droit de vote (c’est toujours dans la Constitution américaine, d’ailleurs, juste superbement ignoré. Parce qu’il est « immoral » de réécrire la Constitution américaine. Question de… civilisation ! En France, il est « moral » de la réécrire régulièrement en fonction de l’évolution de la société) ? 1789, avec les Droits de l’Homme, qui ont été ignorés pour conserver la manne financière de l’esclavage, et ne parlons pas des Droits des femmes ? 1848, avec l’abolition de l’esclavage.. en France (oui, parce qu’ailleurs, c’était fait depuis longtemps) ? 1947, avec, enfin le vote des femmes… en France, dernier pays d’Occident à l’accorder ? 1981, avec la fin de la peine de mort… en France, dernier pays d’Europe à l’accorder ? 1995, avec la reconnaissance officielle des crimes de Vichy ?

Officiellement, nous pouvons donc nous déclarer civilisation supérieure de référence depuis 1995. C’est pas la décence qui nous étouffe, n’est-ce pas, Monsieur Guéant ?, on ne va donc pas se gêner.

Autre dérapage : « le relativisme de gauche ». Il n’y a pas de relativistes à droite ? Tous les partisans de doite sont convaincus de la supériorité absolue de leur civilisation ? Outre qu’il suggère ni plus ni moins que tous les droitistes sont des racistes, il insulte surtout ceux qui, à droite, sont relativistes et fiers de l’être. C’est pas souvent qu’on me verra prendre la défense des militants de droite, mais honnêtement : quel fils de pute ! Sous prétexte d’attaquer la gauche en toutes occasion, ces crétins d’hommes politiques en arrivent à oublier que leurs électeurs sont des gens d’opinions diverses, souvent modérés et/ou modernes, à l’intelligence développée, merci pour eux, et beaucoup plus décents que ceux qui se prétendent leurs porte-parole sur pas mal de points…

*

Mais la polémique ne va pas s’arrêter là. Que nenni. Règle Numero Uno en Pulp-Politique-Fiction : les retro-pédalages sont interdits. On avance coûte que coûte, quitte à défoncer le mur en face. Et n’oubliez pas : ce sont les autres qui ont de la cire dans les oreilles et de la boulette dans le cerveau,  pas vous qui avez de la merde dans la bouche. On avance !

Guéant aux Antilles persiste et signe donc dans ses propos-totoblop. En même temps, il vaut mieux assumer totalement son délire quand on a le culot de faire ce genre de discours une semaine avant d’aller voir ceux-là mêmes que l’on considère comme anticivilisés.

Non, mais d’abord, il faut savoir qu’on l’a mal compris. Il va revenir sur ce qui portait à confusion. On est de mauvaises langues, on a mal compris le mot « civilisation ».

« On a voulu interpréter le terme de civilisation pour laisser entendre que j’avalisais la totalité de notre histoire. »

On a voulu interpréter ? Hop hop, dico de l’Académie Française :

Civilisation : 1. Ensemble des connaissances, des croyances, des institutions, des mœurs, des arts et des techniques d’une société.

J’ai raté un truc ? Une nuance ? Il est mentionné quelque part qu’une civilisation a une date d’emballage et une date de péremption ? Il y a l’ancienne civilisation française et il y a la nouvelle ? « La civilisation française, fondée en 1995 ». Ça en jette, dites donc. Je suis, vous êtes « supérieurs » à ce que vous étiez lors de l’ancienne civilisation. Chouette !

Je continue avec ma définition.

2. État de développement spirituel et matériel tenu pour supérieur par opposition à Barbarie ; ensemble des acquis de l’humanité.

Si notre civilisation est supérieure, elle l’est donc clairement face aux Barbares. Donc, CQFD, les civilisations inférieures sont des barbares. C’est pas moi qui le dit, c’est l’Académie, haut-lieu de la civilisation à la française. Quand on ne veut pas passer pour un raciste, on essaie d’éviter les termes à forte connotation. Le terme « civilisation » a toujours été connoté négativement, ne me dites pas que Guéant est en train de redécouvrir l’Amérique !

3. Action de civiliser, de se civiliser.

Et bien sûr, n’oublions pas quel est le sous-texte de la civilisation, l’idée que l’on va civiliser les autres et que les autres ont besoin d’être civilisés. « Nous on appris tout seuls, vous vous etes trop barbares pour ça. On va vous montrer. » C’est sûr, il n’a aucun relent raciste et colonisateur dans le mot « civilisation »…

« Pour moi, une civilisation, ce n’est pas quelque chose qui est figé dans le passé, c’est quelque chose qui évolue, bien évidemment. Et, très clairement, la civilisation française d’aujourd’hui est meilleure que la civilisation française de l’époque à laquelle on autorisait l’esclavage, elle est meilleure que la civilisation française de l’époque où on pratiquait la peine de mort, elle est meilleure que celle à laquelle les femmes n’avaient pas le droit de vote.

« Une civilisation, c’est évolutif, ça s’améliore et très franchement, aujourd’hui, je crois que la civilisation française porte très haut les droits de l’Homme, au point de les avoir fait partager par le monde entier…

Quand je parle de civilisation française, je renie très clairement ce qui a pu, dans notre histoire, être pour nous une honte. »

Le problème de Guéant, finalement, c’est la langue française. Il n’en maîtrise pas le vocabulaire. Si ta terminologie est mauvaise, ton argument sera invalide.

Guéant voudrait donner sa propre définition de la civilisation pour qu’elle fonctionne avec son propos. La civilisation est une et indivisible. La civilisation du Moyen-Âge, tout comme la civilisation du XVIIIe siècle, sont la même qu’aujourd’hui. Les croyances, les institutions, les mœurs, les arts, les techniques… Nombre d’entre eux sont encore utilisés aujourd’hui, encore valables. Nous sommes héritiers de ces civilisations anciennes. Les nier reviendrait à dire : « Non, je veux plus des tableaux de Chardin, parce qu’au XVIIIème, ils vivaient pas en démocratie et puis les femmes avaient des droits de merde. Et puis je veux pas des évolutions de la médecine du Moyen-Âge, parce qu’à l’époque, ils pratiquaient le servage. » On ne peut pas non plus renier sa civilisation, parce que ce sont nos erreurs qui nous ont permis de nous améliorer. Nos erreurs et nos errements font partie de ce que nous sommes. Sans nos erreurs passé, jamais nous n’aurions compris nos torts. C’est pas faute de répéter à longueur de temps qu’ignorer son Histoire n’amène qu’à la répéter…

Ce n’est pas de l’évolution de la civilisation dont on parle, là, c’est de l’évolution de la culture. La culture qui dit en 1881 que la peine de mort est un bienfait de la société et en 1981 que c’est un crime contre l’Humanité. La culture qui reconnaît les femmes comme des citoyennes, donc comme des égales des hommes, ou comme des enfants, donc des charges pour ceux qui savent mieux qu’elles. La culture évolue tous les jours, et surtout, chaque pays a sa propre culture. Et c’est bien là ce qui embête notre cher ministre. Parler de culture supérieure, c’est beaucoup plus clairement raciste que ce qu’il veut suggérer.

Enfin, pas sûr qu’il ne veuille pas être tout à fait compris :

« [il affirme qu’il n’y a] aucune ambiguïté dans cette affaire [assumant avoir] dit très clairement qu’il y a des civilisations qui sont meilleures que d’autres parce que, c’est quelque chose qui me semble devoir être partagé au regard des valeurs qui sont les nôtres en matière de droit de l’Homme. »

Nos valeurs, nos Droit de l’Homme, nous nous nous. Contre eux. Sans valeurs et sans droits ?

Mais ne vous inquiétez pas, si vous ne trouvez pas Guéant assez clair, il a fait un emule qui, lui, assume tout à fait Et pas des moindres puisqu’il s’agit de Luc Ferry, ancien responsable des manuels scolaires de vos petites têtes ultra-civilisées (tiens, et si on utilisait nos gosses pour juger de notre degré de civilisation, ce serait drôlement instructif), et dont on ne peut que se féliciter qu’il ne soit plus en charge du révisionnisme des cours d’Histoire et d’Instruction Civique. Ferry qui nous fait quand même du Guéant force 10, jugez plutôt (une tribune à l’origine publiée dans le Figaro) :

« Toutes les civilisations se valent-elles? Évidemment non.

Est-il scandaleux de le dire? Pas davantage […]

[…] Les cris d’orfraie poussés par les bien-pensants touchant les propos de Guéant sont d’autant plus ridicules que ces derniers relèvent plus de l’évidence que de la provocation. Je suis prêt à parier qu’en leur for intérieur, nos éléphants du PS pensent exactement la même chose que lui et ce pour une raison simple: il n’y a en réalité, si du moins l’on accepte de considérer une seconde le fond des choses, aucun motif, je dis bien aucun, de tenir a priori les civilisations pour équivalentes. Au nom de quoi pourrait-on refuser à quiconque le droit de préférer les traditions qui ont engendré une grande littérature à celles qui dominent les sociétés sans écriture? Comment lutter avec ardeur contre l’illettrisme, s’engager de toute son âme pour que nos enfants découvrent les grands auteurs et tenir pour équivalentes les cultures où elles se sont épanouies et celles qui ignorent jusqu’à leur existence? Au nom de quoi devrais-je m’abstenir de penser que les œuvres de Bach ou de Mozart sont infiniment plus profondes, plus riches et plus précieuses à tous égards que le tambourin ou le flûtiau de ce que Lévi-Strauss appelle les «sociétés sauvages»? Un tel jugement de valeur n’implique nulle xénophobie, pas davantage la moindre volonté colonisatrice ou impérialiste, simplement l’expression d’un choix dont on voit mal au nom de quelle morale débile il devrait être interdit.

Il en va évidemment de même sur le plan politique: oui, là encore et sans la moindre hésitation, je préfère mille fois une civilisation qui a engendré la démocratie, l’égalité entre hommes et femmes, les Lumières, le rationalisme scientifique, la peinture hollandaise et les droits de l’homme à une civilisation qui les ignore ou les nie. On objecte que c’est là confondre civilisation et régime politique, mais l’argument est spécieux: de toute évidence, les deux sont inséparables.

[…] à l’ombre des cris d’orfraie, c’est une vieille haine de soi qui prospère, le «sanglot» de cet «homme blanc» dont parlait Pascal Bruckner, qui ne parvient toujours pas à éprouver la moindre fierté à l’idée d’appartenir à une Europe qui, pourtant, eut le génie de développer une civilisation laïque de liberté et de bien-être à nulle autre pareille. […] »

Par où commencer… Peut-être qu’un petit cours de rattrapage de philo ne serait pas de trop pour notre ami philosophe, pour lui apprendre à distinguer goût personnel et culture. Je ne m’étonne plus qu’il ait cesser de donner des cours, ça ne devait pas briller par la clarté et la consistence…

Dois-je rappeler à ce cher ancien ministre le très GRAND musée initié alors qu’il était ministre et qui n’a d’autre objectif que de prouver que la flûte et le tambourin valent bien Bach ? Ou peut-être faut-il lui remettre en mémoire qu’une bonne partie de si précieuse littérature dont il se targue a été écrite à des époques où notre société était, selon la nouvelle définition en vigueur, une société inférieure, et où la majorité de la population, totalement illettrée.

D’ailleurs, au fait, il vise qui avec l’illettrisme ? Guéant visait les arabes et leurs femmes voilées, mais les pays arabes sont non seulement lettrés, mais je peux vous assurer qu’en matière de littérature immortelle, ils se défendent bien. Alors qui ? Les africains ? Ah bah oui, Ferry rappelle à qui l’aurait oublié « le sanglot de l’homme blanc ». Oui, je sanglote, en effet : quel dommage que l’homme blanc ait préféré exploiter l’homme noir plutôt que de lui apprendre à lire quand il en a eu l’occasion… Quel manque de professionnalisme dans notre entreprise de civilisation ! *insert irony* Mieux encore : il parle peut-être des Indiens d’Amazonie qui n’en n’ont que foutre de notre civilisation à la con ? Comme je les comprends.

Faut dire qu’on ne donne pas un brillant exemple de droits de l’homme. D’égalité… De fraternité…

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Classé dans Globophilia, Globophobia, littérature, politique, racisme haine et préjugés

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