Critique livre : Une femme simple et honnête, de Robert Goolrick

Un homme attend un train. Le train est en retard. Dans sa poche, l’homme à la cinquantaine solitaire, trop riche pour être aimé des gens de sa ville, qui lui doivent tous leur travail, tient une photo qu’il a souvent regardée. La femme n’est pas jolie. Elle ne sourit même pas. Elle est banale, simple. Une regard de femme honnête. C’est d’ailleurs comme ça qu’elle se décrit. Une femme simple et honnête. Elle est dans ce train. Qui est en retard. Il l’attend. Ralph Truitt a attendu 20 ans avant de se remarier, il a commandé une petite femme simple et honnête par correspondance (une petite annonce dans un journal, des centaines de femmes, peut-être un millier, ont répondu. Il a choisi la plus insignifiante), le retard de ce train l’ennuie. Il sent quelque chose dans l’air, une menace, un avertissement. Le train est en retard.

Quand elle descend, elle n’est pas la femme de la photo. Elle a menti, envoyé des mensonges par courrier, de nombreuses lettres, de nombreux mensonges. Cette femme, cette Catherine Land, n’est pas celle qui lui a écrit qu’elle était simple et honnête : cette femme est magnifique, belle à en crever. Elle a menti. Truitt est furieux. Prêt à la renvoyer chez elle par le premier train du lendemain. Un accident donne à Catherine la chance qu’elle attendait, il la garde. Mais il sait qu’elle est une menteuse. Tant pis, il fera avec. Il a des projets pour elle. Il a besoin d’elle. Elle est son drapeau blanc, son hameçon pour ramener auprès de lui son fils adulte qui a fuit un père brutal 10 ans plus tôt. Elle est son message.

Mais Catherine Land a menti. Elle n’est pas la femme de la photo. Elle n’est pas la femme des lettres. Elle n’est pas simple. Elle est tout sauf honnête. Ralph Truitt s’est commandé une petite veuve noire par correspondance.

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Une femme simple et honnête est le premier roman de Robert Goolrick. (son premier livre publié en France, mais pas le premier qu’il ait publié. « Féroce », une autobiographie de son enfance abominable, a été son premier livre publié au USA. Après qu’Une femme simple et honnête ait été refusé par tous les éditeurs américains. On verra pourquoi). Pour un premier roman, c’est un excellent livre. Goolrick a une écriture magnifique, et la traduction française arrive assez bien à la rendre (parfois, ça ne fonctionne pas, ça arrive avec les traductions. Dans les premiers chapitres, l’usage des répétitions est un peu forcé, mais ce n’est pas la faute du traducteur). Même si l’histoire est souvent un peu prévisible (elle est très influencée par une génération de films et de romans noirs qui ont suffisamment marqué l’inconscient collectif pour que n’importe quel lecteur soit capable d’additionner deux et deux), certains tournants de l’histoire un peu plus inattendus parvient à l’empêcher de sombrer dans le cliché avec lequel elle flirte en permanence. Mais les clichés ne sont pas synonymes de mauvaises histoires, c’est parfois dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes (et c’est parfois avec les meilleurs clichés de proverbes qu’on fait les meilleurs analogies. Ou les pires…)

Là où Goolrick pèche un peu, c’est dans l’évolution de ses personnages. Bien que merveilleusement décrits, analysés et dessinés, la façon dont ils évoluent au cours du roman n’est pas crédible. Goolrick a voulu les plier à son histoire un peu trop vite plutôt que de les faire évoluer avec elle. On reste donc un peu incrédules face à leurs réactions ineptes ou imbéciles (attention SPOILERS : difficile d’admettre que Truitt accepte de son plein grès de se faire assassiner par sa charmante femme, ou que dans les 30 dernières pages, la joyeuse veuve noire, ancienne prostituée, devienne une calme petite épouse jardinière et couturière, qu’elle renonce aussi facilement au luxe facile, etc.). Dommage, car le personnage de Truitt, en particulier, est fascinant.

Autre reproche que je pourrais faire à ce roman, mais c’est vraiment un léger, tout petit reproche. Suite à une interview trouvée sur le net, au cours de ma lecture, j’ai découvert que Goolrick qui a subi un inceste à l’âge de 4 ans, est devenu un addict sexuel à l’âge adulte (ce qui arrive souvent aux homme violés dans leur enfance, rien de surprenant), ce qui a pas mal éclairé ma lecture d’un jour assez nouveau (cette fin de phrase est imbécile, mon usage du français est imbécile… mais je l’ai réécrite 3 fois sans parvenir à la rendre moins débile, faudra vous en contenter…).

Cette OBSESSION du sexe, et le mot n’est pas faible, se retrouve à chaque page du roman, qui est plus sensuel qu’il n’est permis de l’être pour un roman américain. Ce qui explique aussi pourquoi il ait été refusé par tant d’éditeurs frileux. Le sexe est la motivation, l’obsession, l’émotion première et essentielle des personnages du roman (le père, la jeune épouse, le fille adulte), et bien que Goolrick sache décrire le désir sexuel et sensuel comme personne (il est vraiment un excellent écrivain, aucun doute à avoir là-dessus), il se complaît un peu trop dans ces descriptions. On a parfois envie de crier stop, ou on finit par être un peu anesthésié par ces débauches de désirs à moitié inassouvis. Sauf que c’est tout l’inverse que veut provoquer l’auteur. Difficile d’adhérer totalement à une vision des relations hommes-femmes dont les sentiment naissent uniquement de l’attraction physique. Ou plutôt, difficile d’adhérer à l’idée que ces relations bancales puissent finir presque « bien », par une relation saine ou sérieuse. Difficile de se laisser prendre à l’idée qu’un mariage sérieux puisse se fonder uniquement sur la seule affinité sexuelle. Crédibilité, crédibilité quand tu me tiens.

De manière générale, je suis plutôt en désaccord avec la façon dont Goolrick a terminé son roman. D’un point de vue morale, c’est ambivalent. Je n’ai rien contre l’ambivalence, au contraire, j’apprécie plutôt en règle générale, à partir du moment où l’auteur lui-même ne porte aucun jugement et ne suggère pas que c’est une bonne fin (attention SPOILERS : quoi ? le père qui a battu son fils toute son enfance, et qui après avoir essayé de se réconcilier avec lui, finit par le « tuer », c’est correct ? Le père peut s’en sortir s’en devenir fou ? D’un point de vue psychiatrique, cela en dit plus sur Goolrick, violé par son père, que sur les personnages du roman). Côté personnages, la fin est un peu forcée. Non, ça ne peut pas se terminer bien, parce que « ce genre de choses arrivent ». Pardon pour le rengaine, mais la crédibilité est une des vertus premières que j’attends d’un roman, et celui de Goolrick en manque sérieusement.

Pourtant, malgré ces réserves qui sont moins importantes qu’il n’y parait, je recommande ce livre sans avoir à me forcer. Il est trop bien écrit pour que l’on passe à côté, et Goolrick est un auteur qui est bien plus que prometteur. Il est déjà doué.

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NB : ne vous laissez pas rebuter par le couverture qui fait très roman de gare. Les couvertures, ce n’est le fort, ni de NIL Edition, ni de Pocket.

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